À quelques jours du lancement du 30ème Sunny Side of the Doc, Yves Jeanneau, Commissaire général des marchés Sunny Side, a répondu à nos questions. L’occasion d’en savoir plus sur l’histoire du marché, sur l’évolution du monde du documentaire ces 30 dernières années et sur les temps forts de l’édition 2019, mais aussi sur la dimension européenne de cette manifestation et sur l’importance du soutien que lui apporte MEDIA depuis plus de 20 ans.
1. Sunny Side of the Doc fête ses 30 ans cette année. Comment ce marché est-il né ? Quelle est son histoire ?
Il y a 30 ans, le Marché international du documentaire n’existait tout simplement pas ! Chaque pays produisait au sein de ses propres chaînes publiques. Et les producteurs indépendants commençaient tout juste à sortir de la clandestinité… Channel 4, Canal+ et la Sept (future ARTE) changent la donne en décidant de ne rien produire en interne et de faire appel à la créativité des indépendants. Les conditions objectives commençaient à être réunies pour favoriser les coproductions internationales. La qualité des projets, leur originalité, le Super 16mm et l’arrivée du montage numérique vont permettre le saut qualitatif nécessaire. Sunny Side a anticipé, puis accompagné ce mouvement, en faisant le pari que la qualité des programmes et des projets serait à terme gagnant. Réunir tous celles et ceux qui, dans le monde, se battaient pour faire leurs films et les montrer y compris hors de leurs frontières, échanger sur les moyens techniques, les systèmes de financement et de distribution, confronter de nouvelles écritures, hybrides déjà, qui mélangeaient le doc et la fiction, ou l’animation, sans parler d’une utilisation plus seulement illustrative des archives… est devenu l’ADN de Sunny Side. 30 ans plus tard, les objectifs initiaux de professionnalisation et d’internationalisation restent les phares qui nous guident.
2. Allemagne à l’honneur, focus sur la science, PiXii Festival… Pouvez-vous nous en dire plus sur les temps fort de cette 30ème édition ?
Ces trois choix éditoriaux sont, effectivement, la traduction d’une volonté d’ancrer le documentaire dans l’actualité européenne d’une part, dans le combat contre l’obscurantisme d’autre part, et en gardant l’œil attentif vers les innovations et les nouvelles écritures numériques. Nous fédérons ainsi différents secteurs, avec leurs "institutions propres", leurs festivals, leurs nouveaux talents, et nous attirons les YouTubers- vulgarisateurs de Science ou d’Histoire, les réalisateurs créatifs d’Europe de l’Est et des Balkans, les studios innovants… En clair, nous rajeunissons le monde du doc. Réussir à rassembler, à La Rochelle, tous les joueurs importants qui, en Allemagne sont éparpillés dans leurs Landers relevait du défi ; nous l’avons fait ! Tous les diffuseurs de doc, tous les producteurs, et les principaux Fonds Régionaux seront présents à La Rochelle, pour que, au-delà d’ARTE, des coproductions européennes puissent se développer avec l’Allemagne. Science & Nature sera bien entendu la thématique centrale, qui focalisera sur l’IMPACT de nos films sur les enjeux environnementaux. Enfin, PiXii Festival présentera 15 installations numériques internationales qui donneront une image de la diversité des techniques et des écritures et souligneront l’importance des musées et institutions culturelles dans cette nouvelle pratique de production et d’accès aux publics. 30 musées internationaux, du Prado au MET, du Musée Darwin au Chili à celui du Sénégal, rejoindrons tous les musées français déjà habitués de PiXii.
3. Quelle est la plus-value de la dimension européenne et internationale de Sunny Side of the Doc pour les professionnels du documentaire ?
Venir à La Rochelle en juin, c’est la certitude de naviguer au milieu de plus de 2000 professionnels impliqués, venus d’une soixantaine de pays et de tous les continents habités. En quatre jours, c’est une grande économie de CO2 (et de temps) que font les professionnels européens ! Les principales thématiques (Histoire, Science, Arts, Culture, Société, Histoire Naturelle…) sont représentées et organisées au sein de nos séances de pitch thématiques. Les innovations, les nouvelles tendances, les nouveaux partenaires potentiels sont également bien mis en valeur. De plus, la tendance repart à la hausse quant aux coproductions internationales ; d’une part sous la pression des plateformes exercée sur les chaînes qui doivent se rassembler pour financer les projets ambitieux qui, sinon, finiront tous chez ces mêmes plateformes. Mais également avec des joueurs asiatiques, par exemple, qui veulent rattraper leur "retard" et apprendre à coproduire et diffuser internationalement leurs histoires.
4. Quelles sont les évolutions que vous envisagez pour les années à venir ?
Les développements numériques, d’une part, la dynamique créée par les plateformes -en place ou annoncées-, la multiplicité des écrans et des opportunités d’accéder à des contenus intelligents, d’autre part, vont créer un nouveau marché, encore plus globalisé. Et pour lequel il faudra avoir anticipé les besoins et proposé des récits adaptés à différents écrans. Une même histoire sera contée et déclinée par les media-makers que deviennent les producteurs en fonction des supports et des publics ciblés. L’audience de masse assise devant son poste de télévision est, déjà, en voie de pulvérisation. Rien d’inquiétant en soi, sinon que la concentration des pouvoirs dans les médias risque de limiter la créativité et la liberté d’expression ; le documentaire encore et toujours, devra résister. Autre question vitale : les rencontres physiques comme Sunny Side seront-elles encore nécessaires ou tout pourra-t-il se faire virtuellement ? Je parie sur la nécessaire rencontre, sur la construction de relations de confiance qui nécessitent quelque convivialité ! Le documentaire est un art de l’écoute, du regard, du respect mutuel… La proximité restera une nécessité.
5. Que représente pour vous le soutien du programme Europe Créative MEDIA ?
Toute notre démarche est européenne ; nous avons pu, cette année, dégager une (petite) somme de 10.000 € pour créer des bourses d’aide à destination de talents issus des pays de l’Est et des Balkans pour les aider à venir à La Rochelle. Nous en sommes heureux. Sans le programme Europe Créative, Sunny Side of the Doc serait économiquement intenable, sauf à augmenter les tarifs d’accès et à fermer la porte aux jeunes et aux pays de faible capacité.
Notre initiative "allemande" illustre également l’esprit de cette démarche ; aucun pays, aujourd’hui, ne peut développer sa production documentaire seul. Tous doivent s’ouvrir à des collaborations et des coproductions. Ce qui n’est ni simple ni évident dans une conjoncture où les nationalismes s’affichent et se revendiquent. Mais l’économie est têtue… et les documentaristes aussi !